ous êtes directeur de l'agence de télévision
Capa. Pourquoi avoir accepté de réaliser une "mission de réflexion
et de proposition" sur la lutte contre l'alcoolisme ?
J'ai accepté parce que j'étais un bon porte-drapeau. L'impact de
mon livre, Un dernier pour la route, a été très important.
J'ai eu l'impression de soulever le tapis et de libérer la parole
sur l'alcool. L'alcoolisme est la maladie la plus déniée en France.
Le fait d'en avoir parlé comme je l'ai fait ne me pose pas comme
expert, mais montre simplement qu'il y a une manière d'aborder ce
problème en touchant les gens. Il existe une ignorance et un
désintérêt en France pour l'alcoolisme. Ce problème n'est jamais
au-dessus de la pile au ministère de la santé.
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À LIRE
- Alcoolisme : le parler vrai, le parler
simple, d'Hervé Chabalier, Robert Laffont, 158
pages, 15 euros. Parution le 28 novembre.
- "Les Alcooliques anonymes célèbrent
quarante-cinq ans d'entraide et de courage"
Le Monde du 21 novembre.
PROPOSITIONS
Le rapport d'Hervé Chabalier propose plusieurs
mesures :
faire de la lutte contre l'alcoolisme une
"grande cause nationale" ;
inscrire "de manière lisible" sur toutes les
bouteilles et canettes : "La consommation d'alcool
est dangereuse pour la santé" ;
interdire la vente d'alcool dans les
stations-service ;
exiger des commerçants une signalétique "Vente
interdite aux moins de 16 ans" dans tous les
rayons alcool ;
supprimer l'alcool dans les cantines
d'entreprise.
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Comment expliquez-vous le non-engagement des politiques face
au problème de l'alcoolisme ?
Parce que les politiques ont
un souci, quand ils sont élus, c'est d'être réélus. Ce n'est pas un
reproche que je fais là, c'est un constat. Or, l'alcoolisation est,
culturellement, totalement admise dans ce pays de vignes. L'alcool
est magnifié. Il accompagne tous les rites sociaux. C'est pourquoi
il est très compliqué de dire :
"Attention, l'alcool est
dangereux pour la santé." Pourtant, c'est le seul discours
possible.
"Buvez modérément" ne signifie rien. Je ne demande
pas aux politiques de dire de ne pas boire d'alcool, mais de relayer
l'information sur la dangerosité de ce produit. Il faut faire de la
prévention, car l'alcoolisme est un immense problème de santé
publique : il est à l'origine d'un tiers des incarcérations pour
crime, de 50 % des violences conjugales, d'un tiers des handicaps...
Il faut mener une vraie évaluation des conséquences financières et
sociales de l'alcoolisme.
La seule volonté politique qu'il y a eue, c'était la loi Evin.
Mais, depuis, les différentes législatures n'ont fait que s'y
attaquer pour essayer de la dénaturer. La volonté politique est
faible par rapport à la détermination et à l'opiniâtreté des
lobbies. Le phénomène numéro un de l'alcoolisme, c'est le déni.
Derrière les trois grands chantiers de Jacques Chirac (cancer,
sécurité routière, handicap), il y a l'alcool. Mais il n'est jamais
pris au premier degré. On s'occupe des maladies qui sont souvent les
conséquences de l'alcoolisation, sans traiter ce phénomène
. En préparant ce rapport, avez-vous découvert des aspects que
vous ignoriez sur le problème de l'alcool ?
Le plus
étonnant, c'est la non-connaissance par le corps médical de
l'alcoolisme. La majorité des médecins n'intègrent pas le problème
de l'alcool ou le minimisent lorsqu'ils voient un patient. On n'a
pas donné aux médecins cette idée fondamentale que l'alcoolisme est
une maladie. Enormément de médecins continuent à considérer cela
comme une déviance, une tare, un travers. Lorsqu'un gynécologue, par
exemple, suit une femme enceinte, il lui demande toujours si elle
fume, mais rarement si elle boit. Il faut enseigner la maladie
alcoolique au corps médical, lui apprendre que l'alcool relève du
même mécanisme de dépendance que la drogue.
L'alcoolisme, c'est une maladie progressive. Quand quelqu'un sent
qu'il est en train de déraper, il faut qu'il puisse en parler. Car
on peut prendre en main la dérive alcoolique avant que ce soit une
catastrophe. Mais, pour la prendre en main, il faut la reconnaître :
or, actuellement, ni le patient ni le médecin ne la reconnaissent,
et le pouvoir politique ne fait rien pour que ce soit une priorité
de santé publique. Il faut combattre le déni.
Vous souhaitez que l'alcool soit "dénormalisé". Qu'est-ce que
cela signifie ?
Il s'agit de lutter contre toutes les
habitudes et les images qui font que boire est considéré comme
normal. C'est un combat très difficile. Fumer est désormais
ringardisé. Il faut parvenir à la même chose avec l'alcoolisation.
Les personnes abstinentes par nécessité ou par goût sont en
permanence agressées par l'invitation à boire. La consommation
d'alcool est si naturelle que, lorsqu'on refuse de boire, les gens
sont étonnés et insistent. Il faut apprendre à mesurer sa
consommation d'alcool. Chaque fumeur sait combien de cigarettes il
consomme par jour. Par contre, qui sait combien de verres il a bu,
après une soirée ?
L'alcool n'est pas un produit comme un autre. Dénormaliser
l'alcool, c'est refuser qu'il soit commercialisé comme un produit
normal. Il faut qu'il y ait une éthique de santé publique. Ethique,
c'est le mot clé. Le comportement de dealers des alcooliers doit
être combattu. Il est honteux, par exemple, qu'ils sponsorisent des
fêtes étudiantes. Quant aux députés, ils ont fait passer à la
sauvette, comme s'ils avaient honte, des amendements qui foutent en
l'air la loi Evin.
Dans votre rapport, vous estimez que les initiatives du groupe
parlementaire "Vin et santé" sont un "pousse-au-crime"...
Est-ce normal d'encourager la culture et de magnifier la
consommation d'un produit - le vin - dont on sait qu'il n'est pas
essentiel pour la santé ? C'est un mensonge, une escroquerie sociale
de dire que le vin n'est pas un alcool comme les autres. Même si,
effectivement, il n'est pas vécu comme les autres alcools par la
société française pour des raisons culturelles. Les hommes
politiques qui ont des intérêts dans le monde des alcooliers
(viticulteurs compris) ne devraient pas pouvoir intervenir dans le
domaine de la santé publique. Il n'est pas question d'être
prohibitionniste. Je dis simplement : ayez du plaisir, mais sachez
que consommer de l'alcool peut engendrer des dommages pour la santé
physique et mentale.
Que devraient comporter les étiquettes des bouteilles d'alcool
?
Il faut y inscrire, noir sur blanc et de manière lisible
:
"Cette boisson est dangereuse pour la santé", et faire
disparaître la mention : "Consommer avec modération."